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4 mai 2021

Jugement important de la Cour d'appel du Québec portant sur la liberté d'association

Le 7 avril dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision fortement attendue par le milieu syndical en matière de liberté d’association.

La Cour d'appel a ainsi confirmé, dans l’affaire Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l'État québécois (LANEQ) , la décision de la Cour supérieure sur l’inconstitutionnalité de la Loi spéciale adoptée en 2017 par l’Assemblée nationale pour violation du droit fondamental à la liberté d’association.

Rappel des faits importants dans ce dossier

On se rappelle qu’en 2016-2017, les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ) avaient entamé une grève, qui avait duré quatre (4) mois, dans le cadre de négociations difficiles avec le gouvernement du Québec en vue du renouvellement de leur convention collective venue à échéance en 2015. Il est à noter qu’il s’agissait de la plus longue grève d’un syndicat du secteur public ou parapublic au Québec.  À l’époque, le principal point en litige portait sur la parité au niveau de la rémunération avec celle des procureurs aux poursuites criminelles et pénales ainsi que de la nécessité de la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends qui pourraient lier les parties. En 2017, l’adoption d’une loi spéciale, par l’Assemblée nationale du Québec, était venue mettre fin à cette grève et avait forcé le retour au travail des membres de LANEQ. Ces derniers avaient alors décidé de contester la constitutionnalité de cette loi spéciale en Cour supérieure. 

La décision de la Cour d’appel

Pour l’essentiel, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance. Elle débute son analyse en rappelant l’importance du contexte et des faits de chaque affaire lorsque vient le temps de juger la portée des entraves ou atteintes invoquées à la liberté d’association. On retrouve donc au jugement un long résumé des relations de travail entre les deux parties et des négociations qui ont précédé l’adoption de cette loi spéciale en 2017.

Pour ce qui est de l’analyse sur le fond, la Cour d’appel revient d’abord sur l’importante évolution jurisprudentielle opérée par l’arrêt Saskatchewan Federation en matière de liberté d’association. En effet, depuis cet arrêt phare de la Cour suprême, il semble clairement reconnu que la liberté d’association comprend maintenant une protection du droit de grève, à moins que ce dernier soit remplacé par un autre mécanisme véritable de règlement des différends.

La Cour d’appel traite ensuite de l’existence d’une entrave substantielle à la liberté d’association. Elle confirme alors le jugement de la Cour supérieure, en spécifiant notamment qu’il n’y a pas de limite temporelle à la liberté d’association. L’impasse des négociations, selon le gouvernement, ne peut être une raison de supprimer le droit de grève sans compenser par la mise en place d’un mécanisme véritable et efficace de règlement des différends.

Cette violation ne peut non plus se justifier en vertu du test de l’article 1 de la Charte canadienne, puisque cette loi spéciale ne se situe pas dans une gamme de mesures raisonnables, et ce, pour les raisons précédemment énoncées par la Cour supérieure. Le critère de l’atteinte minimale n’est pas respecté, ni celui de la proportionnalité entre les effets bénéfiques de cette loi et ceux préjudiciables.

Ainsi, la loi spéciale de 2017 est reconnue comme une mesure excessive et sans justification. L’appel est donc rejeté confirmant ainsi l’inconstitutionnalité de la Loi spéciale de 2017.

Toutefois, précisions également que la Cour d’appel rejette la demande incidente de LANEQ, refusant ainsi, tout comme la Cour supérieure avant elle, d’imposer la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends entre les parties. La négociation d’un tel mécanisme revient aux parties et celui-ci ne peut être imposé par les tribunaux selon les enseignements de la Cour suprême.

Cette décision de la Cour d'appel est tout de même une très belle victoire syndicale qui vient affirmer encore une fois la large portée de la liberté d’association garantie aux chartes, notamment concernant la reconnaissance d’une protection au droit de grève et à la libre négociation. Cette décision peut être considérée comme une avancée de taille pour les salariés syndiqués des secteurs publics et parapublics dont le gouvernement tente de régler les conflits de relations de travail avec l’adoption de lois spéciales plutôt que selon les règles prévues à la législation québécoise.

Nous croyons également que cette décision pourrait avoir un impact plus large que simplement dans les secteurs public et parapublic, en ce que les employeurs du secteur privé devront se montrer ouverts et patients et ce, même si des négociations pouvaient s’avérer être longues et ardues. Des employeurs qui s’aventureraient à demander à nos gouvernements de mettre fin à des conflits de travail par l’imposition d’une loi spéciale vont dorénavant forcer le gouvernement à agir, le cas échéant, avec une extrême  prudence et ce, même s’il n’est pas l’employeur dans ce genre de conflit. Il s’agit là, croyons-nous, d’une avancée non négligeable pour le monde syndical.

Pour lire la décision complète:

Procureur Général du Québec et Pierre Moreau c. Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ) et Agence du revenu du Québec

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